La loi de réciprocité dans le triangle d’exposition

Un art, notre passion mais aussi indiscutablement une science : la photographie est cette science régie par une série de lois -dont certaines sont plus faciles à comprendre que d’autres- mais qu’il faut connaître et savoir interpréter pour tirer tout le parti de ses photos. On va aborder aujourd’hui l’une des lois les plus importantes, celle qui régit une grande partie de l’exposition sur nos photos : la loi de réciprocité. Découvrez dès aujourd’hui les raisons pour lesquelles il faut absolument savoir l’appliquer pour produire de bons clichés.

La loi de réciprocité dans le triangle d’exposition

À chaque fois que je mène un atelier ou un séminaire sur la photographie basique, je m’attarde généralement davantage sur le chapitre du triangle d’exposition et son influence sur chacune des variables de la quantité de lumière qui parvient jusqu’au capteur de l’appareil photo. De nombreux participants en connaissaient le fonctionnement de base mais par la suite, ils se sont rendus compte du fait qu’ils ignoraient que chacune des variables –ouverture, vitesse et sensibilité ISO– était en étroite relation avec d’autres facteurs très importants sur les photos :

Ouverture de diaphragme

Ainsi, l’ouverture de diaphragme, par exemple, soit le nombre f utilisé dans l’exposition, revêt une importance toute spéciale par rapport à la profondeur de champ. Autrement dit, c’est la part de l’image qui se trouve bien nette, à l’avant comme à l’arrière du plan, à partir du point où l’on a fait la mise au point.

Vous êtes déjà sûrement nombreux à savoir que plus l’ouverture est grande (des nombres f faibles), plus la profondeur de champ est faible et vice-versa. On configurera donc une ouverture plutôt qu’une autre en fonction du type de photo recherché ou de sa vision artistique, indépendamment de la quantité de lumière qui atteint le capteur.

Une grande ouverture configurée permet de séparer clairement le premier plan de l’arrière-plan pour faire ressortir ce dernier

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Vitesse d’exposition

D’autre part, la vitesse d’exposition marque tout le temps que l’obturateur laisse passer la lumière, afin de figer le mouvement ou de produire l’effet inverse (un flou), vous êtes nombreux à le savoir. Ainsi, lors d’un match de tennis, par exemple, on peut saisir au vol la balle bien nette ou bien la capturer en mouvement pour laisser un séduisant sillage. C’est votre goût personnel qui déterminera la vision à retenir.

L’emploi d’une grande exposition permet de figer le saut des petites filles, même si leurs pieds apparaissent légèrement flous

ISO

Le troisième côté du triangle d’exposition est la sensibilité du capteur moyen. Avant l’ère de la photo numérique, il dépendait de la sensibilité de la pellicule (qui se mesurait en ASA ou DIN) et aujourd’hui, des ISO de nos capteurs. Si l’un comme l’autre étaient parfaits, on pourrait élever la sensibilité des éléments capteurs et prendre ainsi des photos avec une très faible lumière sans que cela ne produise le bruit si redouté. Mais les capteurs ne sont pas parfaits et à mesure que l’on augmente la sensibilité, on augmente aussi le risque d’obtenir la photo d’un plat de couscous et de gommettes de couleur…

Bien souvent, lorsque je prends une photo avec le téléobjectif à la main, j’élève l’ISO pour pouvoir déclencher le plus rapidement possible et obtenir une bonne netteté, et ce, même si l’objectif dispose d’un stabilisateur. Et même avec mon appareil réglé sur un ISO 1000, le bruit est imperceptible

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Baisser l’ISO pour réduire le bruit

Contrôler le bruit numérique, justement, c’est essentiel. Mais en règle générale, on peut dire qu’on doit baisser l’ISO de son appareil photo au maximum pour s’assurer le minimum de bruit possible. Même si parfois, il faut aussi élever les valeurs dont on sait qu’elles sont réalistes, pour un bruit acceptable.

L’exposition : l’EV et les stops (ou F-stops)

Nos appareils photo utilisent un exposimètre pour mesurer l’exposition, et génèrent ainsi des valeurs d’exposition en fonction de la lumière captée. Expliquer leur fonctionnement est un peu hors-sujet ici mais vous pouvez retrouver plusieurs articles sur la question sur le blog.

Au lieu de nous donner directement l’ouverture et la vitesse, certains photomètres nous indiquent une valeur d’exposition avec un nombre entier (même s’ils utilisent aussi parfois des décimales), une valeur positive ou négative. Cette valeur d’exposition appelée EV (exposure value) indique une quantité de lumière fixe.

Comment fonctionne l’EV ? (Exposure Value)

Si l’on a un EV 0, il correspond à la quantité de lumière qui parvient au capteur ou à la pellicule lorsqu’on utilise une ouverture de f/1 pendant 1 seconde et le tout à ISO 100, ce qui est la norme. Chaque augmentation ou réduction d’une unité correspond à une variation d’un stop d’exposition (également appelé F-stop). Un EV 1 correspond quant à lui à la moitié exacte de la lumière de l’EV 0, tandis qu’un EV 2 correspond à la moitié d’un EV 1, autrement dit au quart d’un EV 0.

Temps de pose en secondes (sans unité abrégée) et minutes (m) pour différentes valeurs d’exposition et différents nombres f – Source : Wikipedia

(La table est calculée pour un ISO 100 / DIN 21)

On a tellement d’options de configuration sur les appareils photo actuels pour régler l’exposition sur un EV moyen. En d’autres termes, la quantité de lumière est fixe mais on peut configurer l’appareil de nombreuses manières pour faire en sorte que la lumière qui entre soit exactement celle qu’on a mesurée. On devra juste compenser la valeur des différents stops ou F-stops qui varient d’une façon ou d’une autre en fonction de chaque paramètre.

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La proportionnalité entre les stops de diaphragme et la durée d’exposition

Ainsi, les stops sont directement proportionnels à la durée d’exposition, si bien qu’en 1 seconde, le double de lumière entre qu’en ½ s ou 0,5 s. De la même façon, en 10 minutes, entre deux fois plus de lumière qu’en 5 minutes. Et ainsi de suite : en 1/30 entre le double de lumière qu’en 1/60.

Avec l’ISO, c’est la même chose qu’avec le temps de pose. La lumière captée par un capteur à ISO 200 est le double de celle captée par un capteur à ISO 100. Autrement dit, ici tout tourne autour de moitiés et de doubles. Par exemple, un capteur ISO 800 correspond à trois stops de plus qu’un ISO 100 (car un stop 100 x 2 = 200, un autre stop 200 x 2 = 400 et le trosième stop 400 x 2 = 800).

On pourrait déjà commencer à compenser l’ISO et la durée d’exposition, et c’est de fait très pratique pour la photographie nocturne, où attendre pour de longues durées d’exposition de plusieurs minutes, peut s’avérer vraiment pénible lorsqu’on fait différents tests.

Exemple pour bien exposer une photo

Supposons que l’on ait déjà une bonne exposition sur une photo nocturne avec un ISO 12.800 et un temps de pose de 2 secondes (notez bien que je ne parle pas d’ouverture, on la verra par la suite).

La première photo-test de l’exposition, je la prends toujours avec un ISO élèvé et des temps de pose relativement courts. Seul le niveau d’exposition m’intéresse ici

Sur la photo, la lumière est celle qui me plaît mais en recourant à un ISO si important, on obtient beaucoup de bruit. On doit alors baisser l’ISO, jusqu’à ISO 100, par exemple.

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De combien doit-on compenser la durée d’exposition ?

Comptons les stops ou f-stops entre ISO 12800 et ISO 100. Pour ce faire, on va successivement diviser par 2 :

12800 : 2 = 6400 (1 stop)

6400 : 2 = 3200 (2 stops)

3200 : 2 = 1600 (3 stops)

1600 : 2 = 800 (4 stops)

800 : 2 = 400 (5 stops)

400 : 2 = 200 (6 stops)

200 : 2 = 100 (7 stops) 

On a donc procédé à une réduction de 7 stops, que l’on doit maintenant compenser en augmentant le temps de pose des 7 stops correspondants :

2 s X 2 = 4 s (1 stop)

4 s X 2 = 8 s (2 stops)

8 s X 2 = 16 s (3 stops)

16 s X 2 = 32 s (4 stops)

32 s X 2 = 64 s (5 stops)

64 s X 2 = 128 s (6 stops)

128 s X 2 = 256 s (7 stops)

La nouvelle configuration passe de 2 s et ISO 12800 à 256 s (plus de quatre minutes) et ISO 100.

Moins de bruit

En appliquant la loi de réciprocité, j’augmente la durée d’exposition et je réduis l’ISO à un niveau acceptable. Les deux facteurs conservent le même niveau d’exposition mais cette photo-là présente moins de bruit. À noter que les étoiles passent peu à peu de simples points à de petits segments

Il n’y aura maintenant plus de bruit (ou alors ce sera à cause du capteur qui chauffe) mais la durée d’exposition est si longue que les étoiles ne laisseront pas de sillage, tandis que les arbres seront totalement flous, par exemple.

Le niveau d’exposition est pratiquement le même sur les deux photos ci-dessus mais ni le temps de pose ni l’ISO ne sont comparables, par rapport au niveau de bruit ou au sillage des étoiles

On a appliqué simplement la loi de réciprocité, on a deux configurations d’exposition pour une même quantité de lumière. Je peux alors déjà avancer que la loi de réciprocité va me permettre de configurer mon appareil de différentes manières mais la quantité de lumière qu’elle va capter va être la même.

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Appliquer la loi de réciprocité avec l’ouverture de diaphragme

Jusque là, on avait juste abordé la durée d’exposition et la sensibilité ISO. Mais que se passe-t-il avec l’ouverture de diaphragme ou les nombres F, par rapport à la loi de réciprocité ?

Eh bien que les stops ne sont pas proportionnels. Autrement dit, le double de lumière à f/8 n’entre pas à f/4, par exemple. Pour des questions de géométrie qu’on ne va pas aborder ici, les stops sont marqués d’une manière différente lorsqu’on les met en rapport avec l’ouverture de diaphragme. Les stops varient ainsi en fonction des nombres f comme présenté ci-dessous :

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
F1 F1,4 F2 F2,8 F4 F5,6 F8 F11 F16 F22 F32 F44

Ainsi, si l’on prend l’exemple de F4 et F8, entre les deux, il y a deux stops entiers, en fait (je dis « entiers » parce que les appareils photo se configurent généralement sur des tiers de stops, d’où l’existence d’autres valeurs configurables, comme F 1,8 ou F 13, par exemple).

Définition de la loi de réciprocité

Maintenant qu’on a vu comment variaient les stops de lumière sur les trois côtés du triangle d’exposition, on peut donner une définition plus complète de la loi de réciprocité :

On peut dire que chacune des variables des configurations de ces trois paramètres qui donnent une même valeur d’exposition ou EV sont réciproques. Autrement dit, on pourra obtenir le même niveau d’exposition avec des valeurs d’ouverture, de vitesse et de sensibilité, on pourra ensuite compenser au moins deux d’entre elles en les modifiant et on obtiendra alors une exposition réciproque.

Deux valeurs minimum

Bien entendu, ces valeurs à corriger devront être au minimum de deux (comme sur l’exemple de la photo nocturne précédente) mais elles peuvent être aussi au nombre de trois et on répartira alors la compensation des stops d’un paramètre sur les deux autres. De cette manière, je peux faire varier les paramètres d’exposition pour adapter cette dernière aux besoins de la scène du moment, en tenant compte de la manière dont elle affecte chacun d’entre eux, comme on l’a vu au début de cet article.

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Exemple pratique avec la photo d’un coucher de soleil

Voici un exemple pratique pour que tout le monde comprenne bien : je vais photographier un coucher de soleil avec un objectif de 50 mm f/1.4.

Première configuration de l’appareil photo

Je configure l’appareil photo avec les valeurs d’exposition suivantes :

Ouverture : F2

Vitesse : 1/1000

Sensibilité ISO : 100

En prenant la photo, j’observe que l’exposition est la bonne mais j’obtiens une très faible profondeur de champ : j’ai un premier plan et un infini très peu nets, aussi je juge pertinent d’augmenter le nombre F et de refermer le diaphragme, au moins jusqu’a F16 pour m’assurer que la profondeur de champ sera grande (si l’on ferme davantage le diaphragme, on pourra rencontrer des soucis liés à d’autres défauts de l’objectif, alors F16 est une valeur qu’il ne vaut généralement mieux pas dépasser).

Je profite de mes connaissances toutes fraîches sur la loi de réciprocité et je calcule que cette réduction d’ouverture correspond à 6 stops de lumière, aussi je dois la compenser en augmentant le temps d’exposition de ces 6 stops. Ce qui donne une nouvelle durée d’exposition d’1/15 s.

Deuxième configuration de l’appareil photo

Je programme ces valeurs d’exposition sur l’appareil photo :

Ouverture : F16

Vitesse : 1/15

Sensibilité ISO : 100

Je prends la photo et si le soleil n’a pas trop changé de position, la quantité de lumière sera la même. Avec F16, tout devrait être bien net puisque j’ai augmenté la profondeur de champ. Je constate toutefois que la photo obtenue est floue. Prévisible puisqu’avec un 50 mm et sans stabilisateur ni trépied, j’obtiendrai presque toujours une photo floue.

Si je n’ai pas pris de trépied (c’est pourtant un compagnon indispensable), je devrai prolonger la durée d’exposition au-delà d’1/50 pour m’assurer que je pourrai plus ou moins photographier appareil en main à F16.

D’1/15 à 1/60, j’ai deux stops complets et c’est une valeur dont je sais pertienenment qu’elle ne souffrira pas du fait que je prenne la photo appareil à la main avec cet objectif. Je peux compenser maintenant ces deux stops en élevant l’ISO. Je passe donc d’un ISO 100 à un ISO 400 (soit les deux stops correspondants).

Troisième configuration de l’appareil photo

Je configure ensuite l’appareil photo selon les paramètres suivants :

Ouverture : F16

Vitesse : 1/60

Sensibilité ISO : 400

La photo prise, j’observe qu’elle n’est pas floue, que tout est bien net et que la quantité de lumière est celle que je souhaitais et qu’elle est semblable à celle de la première photo. Certes j’ai peut-être un peu plus de bruit mais il restera insignifiant, compte tenu des modèles actuels d’appareils photo.

Conclusion sur la loi de réciprocité

Certains d’entre vous doivent penser que tout cela est très complexe ou que l’on doit faire des calculs très vite pour ne pas rater un cliché. Mais les appareils photo comportent aujourd’hui des tas de fonctions automatiques et d’autres outils pour calculer toute l’opération de réciprocité et de configuration facilement et rapidement, même avec les modes manuels.

Il y a même des applications mobiles qui vous permettent de gérer des configurations d’exposition réciproques. Ces applications peuvent vous aider si vous comptez utiliser des filtres ND. Ce qui reviendrait à modifier le triangle d’exposition comme s’il s’agissait désormais d’un quadrilatère puisqu’on aurait un paramètre supplémentaire à compenser.

Il arrive parfois qu’on place un filtre ND si foncé qu’on ne voit plus rien à travers le viseur et que l’on ne peut pas bien vérifier le cadre ni nous faire une idée précise de l’exposition car avec ces filtres-là, le flashmètre ne peut pas la mesurer. Pour y remédier, on va augmenter au maximum l’ISO et faire plusieurs tests, au niveau du cadre comme de la durée d’exposition nécessaire jusqu’à ce que la lumière nous convienne

On applique ensuite la loi de réciprocité, on baisse l’ISO au maximum et on compense avec un temps de pose et/ou l’ouverture de diaphragme. On évite ainsi d’avoir à placer et retirer le filtre

Adapter la configuration aux besoins

Avec ces applications, on configure une exposition, on indique à l’appli le filtre qu’on va utiliser et elle nous calcule une exposition équivalente en s’appuyant sur la loi de réciprocité, tout en prenant en compte la quantité de lumière que laisse passer le filtre.

Une fois bien assimilée, la loi de réciprocité va nous permettre d’adapter facilement et commodément les paramètres d’exposition à nos besoins techniques et artistiques. La maîtriser, c’est une question de pratique mais avec le temps, elle devient si ancrée dans le cerveau du photographe qu’elle s’applique presque immédiatement.

Texte original (traduit de l’espagnol) et photos : © Alberto Bouzón

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