Question de perspective (I) : l’utilisation de la couleur

Dans ce premier volet d’une série d’articles qui en comptent deux, on va aborder l’utilisation de la couleur, de son importance dans nos prises, égale voire supérieure à l’importance de la composition.

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Utilisation de la couleur : l’importance de la couleur en photographie

J’observe depuis un certain temps déjà des passionnés de photographie qui, après avoir acheté un équipement coûteux, se rendent à des ateliers photo et « se battent » avec la retouche numérique moderne, pour finir par se demander quel type de photo ils veulent produire. Ils se penchent alors sur le travail des autres et constatent qu’en parallèle à l’équipement, les images leur parlent pour différentes raisons. Et c’est là que leur viennent à l’esprit des questions du type : « Qu’est-ce que je dois regarder ? Pourquoi ai-je choisi tel cadre, telle couleur, telle perspective, tel language ? » En d’autres termes, il s’agit pour eux de compléter un cercle créatif.

La composition est très importante. Bien choisir les éléments qui font parler la photo peut donner du fil à retordre à de nombreux photographes. Mais si je leur disais que de nombreuses images que j’ai pu observer ne fonctionnent pas parce que les couleurs et les nuances l’ont voulu ainsi, ils ne me croiraient sans doute pas. Aussi bonne soit leur composition, il leur manque quelque chose, comme un bon repas qui a besoin d’être assaisonné pour être parfait.

Exemple 1 de l’utilisation de la couleur : objectif avec un arrière-plan flou

Observez l’image sous ces lignes. Celle de l’objectif Samyang de 85 mm f/1.4 sur une table blanche. Si j’avais choisi le fond blanc d’un mur sans trop d’éléments, l’effet ne serait pas le même. Je ferais ressortir l’objectif, bien entendu, du fait de sa couleur noire et de sa verticalité. Mais il manquerait encore quelque chose. En décidant d’utiliser les sièges du fond d’une couleur rouge intense, cela me permet non seulement de créer une profondeur que le blanc plat aurait diluée mais aussi d’envelopper l’objectif en en faisant ressortir les volumes. L’utilisation de la couleur accentue sa présence, grâce aussi à la faible profondeur de champ. La faible perspective de la prise contribue à regarder directement le sujet.

Objectif Samyang 85 mm f/1.4, de © José Luis Valdivia

Poursuivons avec d’autres exemples. On a ci-dessous une image prise dans la ville de Cracovie (Pologne), le jour de son marathon annuel.

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Exemple 2 : les chaussures sportives de couleur

À quelques centaines de mètres à peine de l’arrêt d’autobus, avec un pont qui divise la ville en deux et sous lequel passe le fleuve La Vistule, avait lieu la course. Placé sur le bord de la route, j’ai composé mentalement les éléments : le gros ballon à gauche, l’église à droite qui crée de la profondeur de champ et la rambarde de sécurité sur un point de vue bas avec un morceau visible de la chaussée.

« Chaussures sportives de couleur » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 100 f4 à 1/1250s +0,7EV, WB 5600º K. Mesure pondérée au centre.

Lors de mon voyage, il a fait très beau mais ce jour-là, il a fait gris et s’est mis un peu à pleuvoir. Le ciel si chargé atténuait les couleurs, d’où l’intérêt de trouver un élément à faire ressortir pour un meilleur résultat. De nombreux coureurs passaient avec des couleurs marquantes mais je voulais rechercher l’individualité du sportif en solitaire. Au bout d’un moment, j’ai trouvé mon candidat, qui portait en plus des tennis de couleur orange. Avec l’appareil photo configuré et la composition étudiée, j’ai attendu qu’il passe à ma hauteur pour donner la touche finale à la prise.

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L’utilisation de la couleur : des touches marquantes

Sa bonne position de coureur donne une sensation de mouvement et de dynanisme, où la note de couleur de ses chaussures sportives se distingue des autres couleurs tamisées. Ensuite, on peut observer d’autres points de couleur de référence : le drapeau avec un cercle rouge au pied du ballon, la barrière avec des carrés rouges et blancs et la bénevole au gilet jaune. Si le coureur avait porté des chaussures grises, noires ou blanches, le résultat ne serait pas le même. Sans compter la sensation d’échelle de l’ensemble.

On reste à Cracovie pour l’image suivante.

Exemple 3 de l’utilisation de la couleur : la fenêtre rebelle

Je considère un voyage photo comme un exercice d’introspection. Marcher pendant des heures en ne faisant qu’un avec son appareil. Entamer un dialogue interne avec tout ce qui peut s’observer et se contempler. Les villes, la nuit, m’ont toujours fasciné. Elles vont à un autre rythme, elles changent radicalement de langage, comparé à la journée. Et bien entendu. les couleurs aussi. En me promenant dans le centre-ville, sur le chemin de la gare centrale, j’ai levé la tête vers une façade grisâtre visiblement détériorée (Cracovie comporte de nombreux quartiers -surtout les quartiers juifs historiques- avec des bâtiments comme celui-ci) et j’ai trouvé là la seule fenêtre avec de la lumière. Mais ce n’était pas une lumière quelconque ! Parmi tous les rideaux aux couleurs ternes, celui en rouge était vraiment marquant.

Au bon moment

J’ai alors pris mon appareil et j’ai pris cette photo insolite de la « fenêtre rebelle ». Au moment où je vérifiais le résultat sur l’appareil photo, les résidents ont décidé d’éteindre la lumière. Ce qui accrédite la thèse de l’intuition photographique : »prenez la photo avant de la rater ». Je voudrais aussi insister sur quelque chose que je répète souvent dans les ateliers photo que je dirige : « relevez la tête du sol. » Je vois beaucoup de gens qui ignorent les trésors de leur environnement, faute de relever la tête.

« La fenêtre rebelle » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 1600 à f2,5 avec 1/40s. WB 2650ºK. Mesure pondérée au centre.

On change maintenant de pays pour se rendre à Londres.

Exemple 4 : la garde royale

Londres est une ville du vieux continent visitée par des millions de touristes. En bonne ville emblématique, elle présente des lieux qui exigent d’y faire une halte. Bien connus sont les « soldats de Sa Majesté », ceux qui protègent les bâtiments qui font partie des propriétés royales. Des centaines de personnes s’attroupent avec leur appareil pour les immortaliser (quelle patience ils ont, soit dit en passant).

J’ai essayé de rechercher l’opposé. En plaçant l’appareil photo à travers les barreaux, à Buckingham Palace, j’ai essayé de capturer la symétrie unie à la couleur. La façade du fameux palais est d’un ton gris monotone propre aux constructions : pierre après pierre, fenêtre après fenêtre. L’entrée en arc casse la monotonie du schéma continu, sans compter qu’elle fournit un ton plus ocre au fond. Les lampadaires et les coiffes noires verticales donnent le premier contrepoint fort à l’image, où les casaques des gardes donnent la couleur dominante marquante. Notre regard se dirige alors inexorablement vers cette tenue qui marque la silhouette des gardes, et passe de l’un à l’autre.

Horizon bas

J’ai ici à nouveau opté pour une composition à l’horizon bas, en laissant ainsi mes sujets principaux sur un plan inférieur pour donner au tiers supérieur un air qui donne une dimension d’échelle. À signaler, le ton rougeâtre du sol qui pourrait passer inaperçu au premier coup d’oeil.

« Garde royale » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 85 mm f1.4. ISO 100 à f5,6 con 1/125s + 0,7EV. WB 4900ºK. Mesure pondérée au centre.

On se déplace un peu plus vers le coeur de la ville pour s’arrêter dans un autre lieu emblématique : Chinatown.

Exemple 5 de l’utilisation de la couleur : Chinatown

S’il y a quelque chose qui distingue le fameux quartier londonien, c’est bien la couleur. Le jour comme la nuit. J’ai choisi spécialement la nuit pour avoir ce halo mélancolique des villes que j’aime tant. L’une de ses ruelles m’a séduit par son festival visuel de rouges, d’oranges, de jaunes, de bleus, de violets… La perspective de la composition est un énorme point de fuite à la hauteur des yeux, pour parcourir ainsi de haut en bas et vice versa le mur et sa mosaïque.

« Chinatown » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 1000 à f2,8 avec 1/40s . WB 2700ºK. Mesure pondérée au centre.

On change de continent et on part en Afrique, plus précisément en Mauritanie.

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Exemple 6 : la maison bleue

Dans le village d’Arkeiss, à 242 km de Nouadhibou, au coeur du Parc national de Banc d’Arguin, se situe cette jolie maison bleue. En m’informant, des locaux m’ont raconté que la maison appartenait à des gens fortunés de la ville, qui l’avaient construite tout récemment. La bourgade est celle de pêcheurs très modestes. Une vingtaine à peine de bidonvilles forme le village.

Vu l’aspect de beaucoup d’entre eux, la maison bleue a l’air d’un hôtel de luxe au beau milieu du désert vide. Elle se trouve sur le chemin de sortie de ce dernier. Une telle profusion de couleur attire considérablement l’attention dans un paysage aussi aride et spartiate que le paysage mauritanien, où le sable millénaire s’impose et n’est interrompu que par quelques petites touches vertes de flore autochtone. Les traces des véhicules signalent des routes improvisées.

« La maison bleue » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 160 à f8 avec 1/500 s + 1EV. WB 4650ºK. Mesure matricielle.

Point de fuite

Je me suis justement placé à cet endroit après avoir fait un grand tour du village. Avec un point de vue moyen-bas, j’ai placé la maison dans un tiers supérieur vers la gauche du cadre. Les traces de pneus marquent le drôle de point de fuite vers la ligne d’horizon, où se dessinent timidement les silhouettes des montagnes. Le bleu puissant et criard de la maison fait concurrence à celui du ciel, avec des fenêtres au ton jaune plus marqué que celui du sable. Bref, c’est un cadeau pour un photographe que de trouver des trésors comme ceux-ci qui évoquent des manières de vivre différentes de soi. L’Afrique est la couleur pure.

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Exemple 7 : la derâa

Sans quitter la Mauritanie, dans la ville de Nouadhibou, maintenant, on visite un point à l’extrémité du pays : Cap Blanc, là où commence le parc national. Réserve du phoque moine et dont la baie accueille divers bateaux échoués.

« Derâa » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 100 à f2,8 con 1/1250 s + 1EV. WB 5050 ºK. Mesure matricielle.

Je vais essayer ici de revendiquer quelque chose : pourquoi le blanc est-il ignoré comme couleur ? On part du principe que les couleurs classiques de toujours sont le rouge, le bleu, le jaune, le vert… Même le noir est valable pour beaucoup de gens. Mais qu’en est-il du blanc ? Même pour des séances photo de mariage, j’ai constaté que le blanc de la robe de mariée n’était pas exploité, faute de savoir la combiner à d’autres couleurs.

L’utilisation de la couleur : le blanc et le mouvement

Sur cette photo prise au coucher du soleil qui montre l’ami Fadel, notre généreux guide du séjour, on a profité de l’utilisation de la couleur blanc ivoire de sa derâa (tenue traditionnelle masculine), du vent qui le faisait onduler avec beaucoup de personnalité, comme s’il s’agissait d’un drapeau. La force du rouge plombé de la terre donne un caractère unique à la silhouette de notre ami, ce qui fait de ce blanc le grand gagnant face au bleu ténu du ciel.

Tout en marchant, je continuais à faire la composition à travers le viseur. J’ai pris plusieurs photos mais j’ai choisi celle ci-dessus pour la posture qui donne l’impression d’un corps décharné qui essaye d’avancer contre le vent. La ligne d’horizon imaginaire se situe à la hauteur de sa tête. Le chemin en diagonale, ainsi que les traces qui vont dans sa direction, achèvent de former le triangle de composition final. Conclusion : le blanc est notre ami.

On quitte maintenant la Mauritanie pour partir en Espagne.

Exemple 8 de l’utilisation de la couleur : les anciens et le château

Dans la jolie et tranquille Villa de Berlanga de Duero, dans la province de Soria, qui peut se targuer d’avoir eu Le Cid comme premier maire, j’ai pris cette photo amusante. Lorsqu’on s’y promène, on ne peut pas s’empêcher de lever les yeux vers l’impressionnant château qui domine le paysage.

Je composais exactement la même prise lorsque les deux messieurs sont apparus. Après s’être assis à leurs places respectives sur le banc et s’être aperçus que j’avais baissé l’appareil photo, celui en rouge m’apostrophe : « Comment ça va ? » Je lui réponds très bien, je profite de tout ce qu’offre le paysage. Après un bref silence, il poursuit : « On te dérange sur la photo ? » J’ai répondu non, que son pull rouge vient même à point nommé et je leur demande que si cela ne les dérange pas d’apparaître dessus. L’homme me répond : « Je ne vais pas me mettre à courir maintenant. D’autant qu’il fait chaud. » Avec la permission de mes nouveaux amis, j’ai donc poursuivi la composition.

« Les anciens et le château » de © José Luis Valdivia. Nikon D610 avec Samyang 35 mm f1.4. ISO 100 à f5,6 avec 1/320 s + 1,3EV. WB 4450 ºK. Mesure pondérée au centre.

Composition de la photo

Je visualisais l’ensemble en trois parties : le château sur le plan le plus éloigné et à gauche du tiers supérieur ; les remparts défensifs au second plan : et le premier plan avec le mur, le banc et le trottoir, le banc en diagonale avec le château. Et si l’on prend en compte l’utilisation de la couleur, le bleu du ciel était la couleur qui remportait largement la partie, suivi du jaune-orange des pierres. Des touches vertes de nature et le nuage blanc complétaient la composition. Avec l’arrivée des messieurs, la photo a beaucoup gagné, surtout pour le pull rouge, sans pour autant prétendre devenir le point fort sur lequel se pose le regard. Juste la cerise sur le gâteau. Sans compter que grâce aux anciens, la sensation d’échelle est beaucoup plus marquée.

Le rouge gagne

Faites le test de cacher avec les pouces les deux hommes, tout en fermant un oeil : vous verrez que l’image change radicalement, comme s’il manquait quelque chose. Essayez maintenant de cacher chacun des deux hommes séparément, laissant visible l’autre. Il se produira la même chose, et c’est le pull rouge qui gagnera à nouveau. L’autre homme se fond avec le mur par les couleurs. Ils constituent un plus inattendu de cette photo quand bien souvent, on laisse le cliché à maturation avec toute la quiétude nécessaire pour capturer ce qu’on a imaginé.

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Réflexions finales sur l’utilisation de la couleur

Certains d’entre vous doivent se demander : « Que se passe-t-il si je veux prendre une photo en noir et blanc ? » À l’ère numérique où les capteurs dans ce format-là ne sont pas légion, la clé, c’est l’interprétation sensible de chacun. Apprendre à reconnaître les  couleurs qui dominent sur les autres sur une scène pour bien savoir lesquelles auront plus de force, lors du post-traitement, pour obtenir toute la dramatisation nécessaire.

On espère que ce volet de « Questions de perspective » vous servira d’inspiration et qu’à partir de maintenant, vous aimerez autant les couleurs que votre appareil photo. Consultez aussi le second volet : « Question de perspective (II) : la lumière et l’atmosphère« .

Texte original (traduit de l’espagnol) et photos : © José Luis Valdivia

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